FER ET E (architecture)

FER ET E (architecture)
FER ET E (architecture)

Depuis plus d’un siècle, les métaux ont conquis, dans l’industrie du bâtiment, une place prépondérante; en particulier l’acier, qui a permis d’élever des structures à niveaux multiples et grâce auquel on couvrira sans doute des portées de plusieurs kilomètres sans supports intermédiaires. Il ne faut pas l’oublier, ces résultats impressionnants sont le fruit d’une longue suite d’expériences: un siècle du fer a précédé celui de l’acier. Durant cette période, souvent qualifiée de première révolution industrielle, le rôle du métal, jusque-là limité au chaînage des édifices, à la serrurerie, est devenu fondamental, au moins dans les constructions réservées aux ingénieurs: ponts et, plus tard, grands espaces couverts, tels serres, marchés, halls de gares et d’expositions, usines, etc.

En revanche, là où la technique était subordonnée à des impératifs d’ordre esthétique et idéologique, l’emploi du fer ne devait s’imposer que lentement, au prix d’âpres controverses, après de nombreux revers et compromis. Les conséquences, il est vrai, en furent considérables. La conception même de l’architecture fut bouleversée par l’effrondrement du classicisme sous les coups des rationalistes, puis des défenseurs de l’art nouveau. Le style international devait en récolter le bénéfice.

1. Fonte, fer et acier

Cette révolution ne saurait s’expliquer sans un rappel des conditions techniques et économiques qui sont à sa source. Le fer industriel n’est jamais pur. Sa teneur en carbone permet de distinguer différents états.

La fonte, produit brut du haut fourneau (l’antique méthode du bas fourneau permettait d’obtenir directement le fer, mais en petites quantités), sort liquide du creuset; on peut la couler dans des moules. Grâce à sa grande résistance à la pression, soixante fois supérieure à celle d’un calcaire, elle est utilisable pour les supports: piliers, colonnes; on en fait aussi des éléments décoratifs, car on la moule facilement.

Le fer, obtenu par décarburation de la fonte au four à puddler, est malléable et résiste bien à la traction. Il va donc remplacer le bois dans les charpentes ou les planchers.

L’acier, obtenu par un affinage particulier, est plus homogène que le fer, et sa résistance à la traction est deux fois plus grande, trois fois pour l’acier fondu. Dans tous les cas où l’allégement des structures est nécessaire, l’acier prend, à la fin du XIXe siècle, peu à peu la place du fer.

L’assemblage des éléments en métal, difficile à réaliser avec le fer forgé, a pu être industrialisé, au milieu du XIXe siècle, par le rivetage à chaud des tôles et des cornières laminées; cette technique sera remplacée, un siècle plus tard, par celle de la soudure.

La métallurgie du fer était restée longtemps tributaire du charbon de bois; et les autorités, soucieuses de conserver le bois à d’autres fins, limitaient la production (en France, la forge consommait à elle seule autant que les foyers domestiques). À la fin du XVIIIe siècle, l’emploi du coke, découvert par l’Anglais Abraham Darby en 1735, se généralise et provoque l’essor des hauts fourneaux, le développement des techniques de laminage et de martelage. Le Creusot utilisera ce procédé en 1785. Stationnaire de 1789 à 1820, la production française de fer va décupler en un demi-siècle.

2. Les premières utilisations du fer

Le monde gréco-romain fut le premier à bénéficier de la métallurgie du fer, développée en Asie Mineure dès la fin du second millénaire. L’épanouissement de l’art grec est lié à l’emploi de l’outillage en fer. Son architecture, en blocs de pierre posés à joints vifs, est entièrement liaisonnée par des crampons ou des goujons de métal. Lorsqu’une portée exceptionnelle exige de faire reposer une poutre sur le milieu d’une architrave, une semelle de fer vient assurer la répartition de la charge. Les Propylées offrent l’exemple d’une telle semelle longue de 1,80 m.
Le système de concrétion lourde de l’architecture impériale romaine ne comporte pas d’armatures métalliques; mais, lorsqu’il tend à s’alléger dans les structures en coques des Byzantins et des musulmans, des tirants de fer annulent les poussées.

En Occident, lorsque l’architecture gothique tend à n’être plus qu’une ossature, on doit faire appel de plus en plus largement au fer pour assurer le chaînage des édifices et pour former l’armature des immenses verrières. L’exemple de la Sainte-Chapelle de Paris est caractéristique: une chaîne continue ceinture tout l’édifice sur trois niveaux. Lorsqu’à la simplicité rationnelle du XIIIe siècle succéderont les virtuosités de l’art flamboyant, certaines utilisations du fer en architecture deviendront abusives. À la Renaissance, un emploi restreint aurait dû être la conséquence du retour à des structures plus statiques; mais, en Italie, pays de séismes, on dut recourir au fer pour chaîner les édifices. Les nefs des grandes églises, les loggiae en plein air, sont encombrées de tirants; les coupoles sont ceinturées de fer (telles celles de Saint-Marc de Venise, restaurées en 1523 par Sansovino). À Saint-Pierre de Rome, Michel-Ange avait prévu d’incorporer à la coupole, exécutée dans le dernier quart du XVIe siècle, une grille de métal qui ne put supporter les poussées engendrées par l’énorme masse de pierre. Pour en conjurer la ruine, il fut nécessaire, au milieu du XVIIIe siècle, de la renforcer par six cercles de fer d’un poids total de cinquante tonnes.

À la même époque, l’emploi des chaînes et des ancrages est devenu à peu près général dans les édifices urbains; certaines constructions exceptionnelles ont permis d’expérimenter des systèmes complexes d’armatures. Claude Perrault à la colonnade du Louvre, Ange-Jacques Gabriel à celle du GardeMeuble, terminée en 1756, supprimèrent les poussées engendrées par les caissons et les architraves en armant les colonnes de tiges axiales, réunies par des tirants croisés.

À Paris, au portail de Saint-Sulpice, les architraves en plates-bandes appareillées sont soulagées par des fermettes en fer forgé, dont le profil est déjà celui d’un arc d’égale résistance. Un siècle plus tard, l’armature de la première poutre Monier, en béton armé, aura un profil équivalent. La comparaison se justifie d’autant mieux qu’il s’agit, dans ce portail, d’un véritable cas de pierre armée et non plus de maçonnerie chaînée.

On pourrait appliquer ce terme, avec plus de rigueur encore, au portail de l’église Sainte-Geneviève, devenue le Panthéon. Ce n’est plus un appareil de pierre consolidé, mais une véritable structure de métal plaquée de pierre. Ces colonnades, dont on a souvent dénoncé l’inutilité, ont été, bien avant les ponts, le premier banc d’essai de la nouvelle architecture.

3. Les ponts métalliques

On avait, en effet, songé, dès le XVIIIe siècle, au fer pour augmenter la portée des ponts; mais le fer forgé était coûteux et fit échouer la tentative de Garin à Lyon, en 1755. Seule la fonte, par son bas prix et la simplicité de son moulage, pouvait permettre de découvrir rapidement les propriétés du métal. C’est donc en fonte que A. Darby réalise, en 1773-1779, le premier pont métallique, à proximité de sa fonderie de Coalbrookdale (Grande-Bretagne). L’arche centrale, d’une portée de 30 m, travaillait comme un arc en fer forgé. Ce sera encore le cas du pont des Arts, construit à Paris en 1803 par L. de Cessart et J. Dillon. Mais, très vite, on conçut une combinaison de prismes creux où la fonte travaillait en compression. Ce procédé permit d’atteindre une portée de 72 m au pont de Sunderland (1793-1796, Grande-Bretagne), soit le double des possibilités d’une arche en pierre.

À la même date, la production accrue de fer, forgé en barres ou en chaînes, va permettre de développer la construction des ponts suspendus. Leur conception, inspirée des ponts-levis, est ancienne (Verantius, 1617). La possibilité de construire ces ponts rapidement et sans cintre explique, en dépit des accidents dus aux vibrations et surtout au vent, leur prodigieux succès aux États-Unis (où le premier pont de ce type fut construit en 1796), en Angleterre, en France (où est mise au point la technique des câbles par Marc Seguin au pont de Tournon, en 1822). Des portées considérables sont atteintes: plus de 200 m au pont de Fribourg (1837), 250 m à celui du Niagara (1855). Et, en 1887, le pont de New York, en acier, atteindra les 500 m.

Simultanément on parvient à déterminer la meilleure répartition du métal dans une poutre: deux tables ou ailes, réunies par une âme verticale, unique dans la poutre en I, dédoublée dans la poutre tubulaire. Cette dernière est appliquée par Robert Stephenson au pont Britannia, sur le détroit de Menai, en 1846-1850, où les deux travées centrales ont 140 m de portée chacune. Le tube, encore à parois pleines dans ce pont, subira plusieurs transformations: éléments rivetés en treillis, profil courbe, dit «d’égale résistance», articulation sur galets ou rotules pour compenser les effets de la dilatation.

Grâce au développement des transports ferroviaires, les ponts en tôle de fer, puis d’acier, vont envahir le paysage, imposer des structures hors d’échelle où tout est sacrifié au calcul.

Parmi l’infinie variété des ponts de la seconde moitié du XIXe siècle, citons ceux de Gustave Eiffel. Cet ingénieur a toujours tenu compte des effets du vent; aussi se refuse-t-il à faire appel au pont suspendu. Pour ses viaducs célèbres du Douro (Portugal) et de Garabit (France), d’une portée de 160 m, il utilise un dispositif de piles et d’arcs indéformables, travaillant en compression à la façon des pylônes. Pour l’Exposition de 1889, à Paris, il fait appel au même procédé, poussé aux limites de l’emploi du fer puddlé: la tour Eiffel est un pylône culminant à 300 m qui enjambe de ses quatre piles, comme un arc triomphal, la perspective du Champ-de-Mars.

Cependant, le système d’arc à trois articulations, adopté pour la galerie des Machines, va s’imposer. D’abord avec Paul Bodin, qui l’associe au «cantilever» (utilisé par les Écossais sur le Forth dès 1882) pour le pont du Viaur (1889; 220 m de portée); puis avec Jean Résal, qui va tenter d’intégrer le métal au décor urbain, au pont Mirabeau (1895), puis au pont Alexandre III, réalisé en acier coulé, avec une arche biaise de 107 m, pour l’Exposition de 1900.

4. Les espaces couverts

Un pont n’a d’autre but que de soutenir une portion de voie à l’aide d’une poutre ou d’un arc; et le métal, à lui seul, peut remplir ce rôle. Il en va tout autrement de la couverture d’un espace; les fonctions se diversifient, et l’ossature de fer doit se compléter d’une enveloppe isolante posant de délicats problèmes de jonction.

C’est curieusement à la crainte des incendies qu’il faut attribuer les premières structures métalliques. Au XVIIIe siècle, on imagine, pour se protéger du feu, des combles et planchers en briques, puis en fer hourdé de poteries. L’application, assez ostentatoire, du fer forgé, par Victor Louis, au comble du Théâtre-Français, en 1786, sera généralisée; le salon carré du Louvre ou la Bourse auront aussi leur comble métallique, si coûteux soit-il.

En Angleterre, le problème de l’encombrement s’ajoute à celui de la sécurité pour faire abandonner les structures en bois, dans les filatures, au profit d’éléments en fonte, d’abord pour les points d’appui, bientôt pour les poutres et solives des planchers. Ce sera même là le banc d’essai qui permettra la mise au point du profil en I, en fonte, puis en fer laminé. Les fers à planchers et les poutres en tôle vont peu à peu remplacer tout ce qui, jadis, était en bois. Il n’est pas exagéré de dire qu’à la fin du siècle, sous les façades «de style historique», il y aura presque autant de fer que de maçonnerie.

C’est encore la crainte du feu qui a fait songer, après l’incendie de 1802, à remplacer la coupole en bois de la halle aux blés par une autre, en fonte, réalisée par l’architecte Bellanger et l’ingénieur Brunet en 1809-1811. Pour la première fois, on couvrait en métal un espace de la dimension du Panthéon romain. Les auteurs de cette coupole firent preuve d’une telle compréhension des propriétés de la matière et d’une telle habileté dans les assemblages que les techniciens avouaient, près d’un siècle plus tard, ne pouvoir faire mieux: ce premier monument de l’architecture moderne, réemployé pour la Bourse du commerce, existe toujours.

Après ce chef-d’œuvre, la couverture des «passages» peut sembler mineure; leur rôle pourtant n’a pas été négligeable. La galerie la plus connue, antérieure à celles de Bruxelles, de Milan ou de Moscou, a été celle du Palais-Royal à Paris, où Fontaine, en 1829-1833, établit un plafond bombé entièrement transparent. L’intérêt n’en est pas structural, mais plastique; ces œuvres annoncent la disparition du volume fermé, seulement éclairé par des baies. Les serres du Muséum d’histoire naturelle, construites peu après par Charles Rohault de Fleury, achèvent cette évolution en faisant disparaître toute enveloppe de pierre. Ce n’est donc pas un hasard si le premier pavillon d’une exposition universelle est dû à un jardinier. Le Crystal Palace, à Londres, monté en six mois par Joseph Paxton, en 1851, n’était qu’une immense serre préfabriquée; bel exemple de coordination, puisque ses éléments venaient de plusieurs usines.

Les gares, avec leurs halles vitrées entourées de bâtiments administratifs, posent des problèmes du même ordre. Grâce à une charpente à la Philibert Delorme, on avait atteint 32 m de portée à King’s Cross (Londres, 1851); mais les planches, rongées par les vapeurs sulfureuses, durent être supprimées. Aussi le fer remplaça-t-il bientôt le bois; en France notamment, avec la ferme Polonceau, d’abord en fer et bois, puis en fer et fonte. Mais son aspect filiforme, arachnéen, fit rechercher diverses variantes, plus esthétiques.

L’architecte Duquesney donna une forme de voûte à la gare de l’Est (1847-1852) en combinant le système Polonceau avec des poutres en arc d’une portée de 30 m; et il eut l’habileté d’exprimer sa halle, en façade, par un vaste tympan vitré, créant ainsi le type de la gare terminus. Pour la halle immense de la gare du Nord, Jacques-Ignace Hittorff, en 1861-1865, limita le système Polonceau au triangle central, qui culmine à plus de 30 m; il plaça à la base et au milieu de la portée des triangles de fonte en résille concentrant le poids des toitures sur des consoles et sur de fines colonnes de fonte anglaise. Des tympans vitrés éclairent la halle en façade; celle-ci est traitée en style néo-grec avec une vigueur à la mesure du vaste édifice. En Angleterre, l’emploi des poutres en arc va aboutir à la suppression des tirants. Déjà en 1846, à Newcastle, le tracé courbe des halls avait conduit à réaliser des berceaux annulaires, car toute autre disposition aurait entraîné un enchevêtrement disgracieux des tirants. À la gare Saint Pancras (Londres, 1863-1876), la nécessité de couvrir une portée de 75 m sans supports intermédiaires amène l’ingénieur Barlow à poser directement les arcs sur le sol. Ce procédé, qui reprend la vieille cruck construction saxonne, avait été employé à la gare de Munich dès 1847, mais pour une portée inférieure à 50 m.

Les galeries de machines des expositions universelles montreraient, à l’analyse, les mêmes tendances: suppression des tirants, profils voûtés sur des piliers ou de hautes parois vitrées, puis directement sur le sol. La portée, qui était de 22 m au Crystal Palace, passe à 48 m, en 1855, au palais de l’industrie. À l’Exposition de 1867, le tracé concentrique des galeries impose un parti comparable à celui de la gare de Newcastle; mais la portée est réduite à 35 m, et elle n’augmente pas en 1878; seul le profil des fermes tend à rejoindre le sol. En 1889, c’est chose faite: à l’exemple des gares allemandes ou américaines, qui, depuis dix ans, utilisent des fermes à trois articulations, les arcs de la galerie des machines destinée à l’Exposition universelle, reposent directement sur les fondations. On avait renoncé, par économie, aux tirants enterrés et à l’acier. Avec ses 115 m de portée, cette galerie représentait avant tout une prouesse technique, aboutissement d’un demi-siècle d’efforts, même si la gare du Nord et celle de Saint Pancras atteignaient déjà les deux tiers de ses dimensions.

Les marchés couverts, héritiers des vieilles halles en bois, ont en commun avec les gares de fournir un abri demandant une bonne ventilation. Autrefois, en France, les marchands des halles travaillaient en plein air; depuis le début du siècle, l’administration, pour briser leur esprit indépendant, visait à les parquer dans des marchés ou des abattoirs en maçonnerie. On accuse volontiers Victor Baltard (1805-1874) d’avoir conçu en pierre un premier pavillon des nouvelles Halles: le «fort de la halle»; et, par conséquent, on le juge incapable d’être l’auteur des structures qui portent son nom. C’est oublier le programme imposé à l’architecte; et surtout méconnaître le caractère génial de la solution adoptée, beaucoup plus simple et fonctionnelle que les projets concurrents. Le plan de masse des Halles centrales est fondé sur l’emploi d’une trame carrée de six mètres de côté, qui permet une standardisation poussée, une faible emprise au sol, et une très grande facilité d’accès et de circulation. Les pavillons, réunis par des rues couvertes, sont conçus comme d’énormes ventilateurs statiques, réduits à des toitures légères en zinc étageant leurs lanternes sur des hautes colonnes de fonte, entretoisées de poutres en treillis et, à la base, par des écrans de briques. La structure, entièrement visible, à l’extérieur comme à l’intérieur, était exempte de toute décoration superflue.

Baltard fut moins heureux à l’église Saint-Augustin (1866-1871). Cela tient-il à l’utilisation conjointe du fer et de la pierre, ou bien à une sécheresse stylistique qui ne doit rien au fer puisqu’elle caractérise également d’autres églises contemporaines où ce matériau est absent? La preuve des possibilités d’intégration du fer était cependant déjà faite.

À la Bibliothèque Sainte-Geneviève (1843-1850), où le bois était proscrit, Henri Labrouste (1801-1875) avait couvert la salle de berceaux jumelés en plâtre armé sur doubleaux de fonte ajourée, soutenus dans l’axe par une file de colonnes de fonte. À la Bibliothèque nationale (1853-1857), où il isole les livres dans un magasin incombustible, Labrouste coiffe la partie carrée de la salle de lecture de neuf coupoles aux doubleaux treillissés retombant sur de fines colonnes de fonte. Ces coupoles sont revêtues de céramique, qui diffuse la lumière tombant de leur lunette centrale; éclairage qui s’ajoute à celui venant des grandes baies en façade et du plafond de l’hémicycle. En dépit d’une échelle inusitée, l’architecte est parvenu, par l’emploi de sources de lumière variées et d’un décor surtout polychrome, à harmoniser le fer et la pierre et à créer une ambiance favorable à l’étude.

La salle à double vaisseau de Sainte-Geneviève était encore proche des réfectoires gothiques; celle de la Bibliothèque nationale, par sa structure autoportante, indépendante de l’enveloppe, ouvrait des voies nouvelles que certains architectes avaient déjà entrevues: l’église Saint-Eugène à Paris en apporte la preuve.

Cette église fut réalisée par L. A. Boileau, en 1854, en application de principes que cet ancien menuisier et son rival, l’architecte A.-L. Lusson, tiraient de l’architecture gothique. L’ossature en fer et fonte, qui soutient des voûtes légères en plâtre armé, est indépendante des murs extérieurs, réduits au rôle d’enveloppe; le modèle des piliers a été pris au réfectoire gothique de l’ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs. Le but recherché était surtout économique: Lusson envisageait une préfabrication totale et son expédition dans les colonies; l’enveloppe devant être réalisée sur place à l’aide de matériaux locaux. Le projet n’eut pas de suite, mais Boileau acquit, dans cet édifice et dans d’autres réalisations postérieures, une expérience du fer et du béton qu’il mettra à profit avec son fils L. C. Boileau, au Bon Marché, autre grand programme du fer.

Pour dépeindre l’atmosphère caractéristique de son temps, Zola a retenu deux édifices du fer: les Halles et un grand magasin. Son Bonheur des dames – œuvre imaginaire – évoque, en fait, moins le Bon Marché, où la pierre joue encore un grand rôle, que le Printemps (1882), où Paul Sédille a fait disparaître les murs, transformant l’édifice en une énorme vitrine, sous les ors et les mosaïques des enseignes. Modèles dont Frantz Jourdain se souviendra pour la Samaritaine (1905-1906).

5. De Viollet-le-Duc à Guimard

Les milieux d’architectes suivaient ces tentatives, dues surtout aux ingénieurs, avec attention, voire avec quelques craintes. À partir de 1841, la Revue générale d’architecture de César Daly reflète cet intérêt grandissant. Le succès de sa salle de lecture ouvre à Labrouste les portes de l’Institut en 1867. Il y succède à Hittorff, y retrouve Baltard, Joseph Duc et Félix Duban, qui tous utilisaient le fer. S’il y a débat, il demeure pacifique. Viollet-le-Duc va le passionner en le transportant sur un autre plan, en dénonçant avec violence, au nom du rationalisme, les carences de l’enseignement officiel. L’étude des structures gothiques, aux poussées localisées, avait conduit leur restaurateur à considérer le fer comme répondant le mieux aux nécessités d’une architecture nouvelle. C’était prendre le moyen pour le principe, faire d’un matériau le moteur d’une révolution artistique. Aussi les objections ne manquèrent pas: le fer est fait pour couvrir, augmenter les portées, diminuer les appuis, mais ne saurait résoudre les problèmes d’enveloppe. Il nécessite, en outre, un entretien constant: comme tel, il s’oppose aux matériaux durables, sans lesquels il ne peut y avoir d’architecture. L’Exposition de 1889, qui avait accordé la primauté au fer, devait justifier en partie ces critiques par son impuissance à résoudre autre chose que des problèmes techniques. À notre époque seulement et grâce à la variété des matériaux industriels – acier inoxydable, aluminium, plastique et verre – , l’architecture métallique saura trouver sa véritable expression.

Les rationalistes eux-mêmes, poussés par Anatole de Baudot, abandonnaient le métal au profit du ciment armé. C’était encore du fer, mais en simples barres, sans profils spéciaux ni assemblages compliqués, mis à l’abri de la corrosion par un enrobage assurant la massivité chère aux esthéticiens.

Les idées de Viollet-le-Duc exerçaient encore sur les jeunes une attraction puissante, et pas seulement en France. Ceux qui participèrent au grand mouvement de rénovation des arts plastiques des années 1890 se réfèrent tous à ses écrits: le Catalan A. Gaudi, le Belge V. Horta, le Hollandais P. Berlage, le Français H. Guimard enfin, connu surtout pour ses entrées du métro.

Hector Guimard (1867-1942) fut un prodigieux créateur de formes. Il traita son architecture comme un tout, englobant les arts mineurs, retenant l’essentiel des styles anciens dans une synthèse abstraite qui annonce les recherches actuelles. Modelés par ses soins, le bois, le staff, la céramique, les métaux semblent animés par une dynamique interne, brutale, inquiétante souvent. Plus tard, son art s’assagira, deviendra aimable et comme imprégné de grâce féminine; mais sa richesse d’invention restera inégalable. Guimard mérite de figurer dans une étude de l’architecture métallique par sa volonté de diffuser largement ses modèles par le moulage; bronze pour la serrurerie d’intérieur, et surtout fonte de fer pour les extérieurs. Sa tentative pour remplacer par un art authentique les productions industrielles qui, tout au long du siècle, avaient fourni le décor de la rue et le mobilier des jardins ne fut malheureusement pas comprise.

Le béton armé allait ici encore triompher du fer, marquer, par la rigueur de ses coffrages, la résurgence de l’esprit néo-classique et condamner au silence les disciples de Viollet-le-Duc.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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